Dans le brouillard gris de l’aube
flotte l’esprit de Jina
comme des lambeaux de robe
pleurant son assassinat.
Le brouillard s’accroche aux branches
maigres de l’arbre de fer.
Jina dans sa brume blanche
étire son deuil amer.
Pour des cheveux qui dépassent
d’un voile noir mal porté
des Gardiens au cœur de glace
ont commis l’atrocité.
Et depuis quarante jours
l’esprit de Jina s’égare
dans le souvenir trop lourd
du corps dont il se sépare.
Que fera-t-il de ses rêves
de jeune femme au cœur vif
maintenant que son corps crève
au cimetière sous les ifs ?
***
Mais quand la ville s’enflamme
et que gronde le courroux
Jina diffuse son âme
dans le peuple au cœur de loup.
L’esprit de Jina éclate
dans les cris manifestants
et veut que son peuple abatte
le régime du tyran.
Il est percé par les balles
homicides des Gardiens.
Il étouffe avec les râles
des prisonniers dans leurs liens.
Il gémit sous les tortures
des femmes dans les prisons
mais dans la nuit il murmure
le courage et la raison.
***
Lorsque s’apaise la nuit
Jina, dans sa brume grise,
vers la montagne s’enfuit
pour se bercer dans la brise.
Elle épouse le grelot
de la rivière sauvage,
lave son chagrin dans l’eau
et cherche en vain son image.
Puis elle erre dans Saqqez,
la ville de sa naissance,
cherchant l’amoureux qui baise
le souvenir d’une danse.
Alors revient la chanson
que tous chantent : « Barayé ! »
pour que filles et garçons
n’aient plus peur de s’embrasser,
pour la pureté de l’air
et pour la fraternité,
pour que le pauvre soit fier,
pour « femme, vie, liberté ! »
Pierre Thiollière, Garrigues,
1er avril 2023